Vingt ans !

 

Ils ont vingt ans !.. On a peine à le croire... Ou alors, ils ont vingt ans comme on le dit avec envie d’un jeune dans la force de l’âge, en pleine possession de ses moyens. Ce groupe qui compte sur la scène corse depuis tant d’années est une présence constante dans le paysage culturel de l’île et au delà. Ils ont « fait » des scènes parisiennes dont l’Olympia en 1993, des spectacles en France et à l’étranger, en Amérique du sud même l’an dernier. Ils figuraient au générique de la bande son du film « La Reine Margot ».
Leur force : avant tout les voix, parmi les plus belles de Corse, Jean-Marie Pesce (Mai pour le public), Paul Felix Nasica, Philippe Rocchi et bien d’autres...
Ils étaient les enfants de « Canta U Populu Corsu », nombreux parmi eux, tout jeunes en ont fait partie dans les dernières années. Puis, Canta s’est momentanément arrêté et ils ont continué. Des anciens de Canta les ont d’ailleurs rejoint.
Leur parcours est constant : toujours militants, toujours porteurs de la tradition du chant corse mais aussi à l’écoute de nouvelles approches et de nouvelles influences. Leurs productions discographiques en témoignent, ils ont été les premiers à associer des voix de femmes à leur répertoire en s’associant avec « E Due Patrizie » devenues ensuite « les Nouvelles Polyphonies Corses ».
Leur source, leur fondement, c’est le chant traditionnel corse, le chant polyphonique profane et sacré. Ils l’ont appris dans les fêtes et les foires agricoles au contact des anciens , dans les confréries, pour les messes de mariages ou de funérailles. C’est là qu’ils ont forgé leur voix et leur connaissance du chant.
Pour autant, leurs chansons sont souvent colorées des couleurs qui leur plaisent. L’Amérique du sud, les séduit, ils produisent des chansons comme « l’Emiliana » teintées de « mariachis » et qu’ils vont jusqu’à chanter en arborant sur scène de splendides sombreros mexicains, les rythmes d’Europe de l’Est leur plaisent, ils nous sortent de superbes chansons du type « Attila ». Personne pour autant ne s’interroge sur leur identité, ils sont corses avant tout, mais ils montrent que l’on peut être corses, militants de la corsitude et apprécier ce qui se fait ailleurs. On gardera en mémoire comment la chanson de Luis Llach « L’Estaco » repris par eux sous le titre « Catena » était devenu le véritable hymne nationaliste de la campagne des élections territoriales des années 92.
A l’heure où des chanteurs corses se cherchent une inscription dans la World musique ou dans la « méditerranéité », ils restent incroyablement simples et naturels. Pour avoir vingt ans de carrière, on ne peut pas dire d’eux que ce sont des professionnels au sens business du terme : les micros et les caméras des interviews ou les campagnes de promo ne sont pas faits pour eux. Par contre, on fait rarement appel à eux en vain, que ce soit pour chanter des messes de deuil ou de mariage, pour soutenir une cause humanitaire ou pour un engagement plus politique, ils seront là, porteurs de leur soutien et de leur engagement. Il faut les avoir vu lors des tournées d’été rejoindre les lieux de concert en vélos, avec des chronos dignes d’une véritable équipe cycliste professionnelle, pour bien comprendre ce que veut dire « esprit du groupe ».
C’est beaucoup par leur personnalité, leur inscription dans la vie sociale que l’on peut expliquer ce naturel. Certains sont ébénistes, d’autres, enseignants , d’autres pompiers, d’autres ont des petits boulots, donnent des cours de corse ou de musique, personne ne vit vraiment de la musique. Leur Q.G. c’est un bar de la place d’Armes de Bastia : « Chez Mimi ». C’est là, que nous les avons rencontré pour leur poser ces quelques questions.


1. Chjami Aghjalesi, c’est quoi et c’est qui exactement ?


Chjami Aghjalesi est une association régie par la loi de 1901, elle a été créé en 1978 et son objet est la sauvegarde et la promotion du patrimoine culturel corse.
Depuis maintenant 20 ans, ce sont plus de cinquante personnes qui ont participé à la vie des Chjami dont la principale activité est le spectacle vivant et la production de disques. Chjami Aghjalesi, c'est aussi des dizaines de messes chantées par an aux quatre coins de l'île et ailleurs, mais aussi l’entraide associative qui consiste à donner un coup de pouce aux autres démarches qu’elles soient caritatives ou humanitaires.
I Chjami Aghjalesi, c’est un groupe d’une quinzaine d’amis unis par l’amour du chant et par l’amour de la Corse.


2. Qu’est ce qui vous a motivé pour constituer le groupe ?


En 1978, la constitution du groupe était déjà effective, la déclaration de l’association s’est inscrite dans ce qu’on l’on pouvait identifier en 1970 comme un mouvement de reconquête culturelle. C’est l’époque où l’on voit fleurir toutes sortes d’associations qui ont donné naissance à des groupes de chanteurs qui tous, à l’époque, se revendiquaient comme des militants identitaires.


3. La Corse a des traditions en matière de chant et de musiques, comment vous situez vous par rapport à la tradition ? Quel est pour vous le rapport entre tradition et création ?


Dans la tradition, le chant corse revêt des aspects quelquefois fort différents d’une région à l’autre. Il y eu par ailleurs au cours du siècle des évolutions mesurables , et des formes ont disparu alors que d’autres sont apparues mais deux critères ne varient pas et semblent être les piliers du chant corse : le timbre, façon de poser la voix et de la faire vibrer d’une part et les mélismes, fioritures, en corse : e riguccate. La tradition ,ce n’est figé ni dans l’espace ni dans le temps. Par contre, ça se rattache au vécu des gens, passé, présent. Nous chantons plusieurs formes traditionnelles , beaucoup en polyphonie et nous créons sur la base de la tradition en gardant des formes ou en les modifiant suivant l’inspiration. Et nous écrivons des textes à la faveur de l’événement : des cris d’amour, de révolte, de joie... Comme cela s’est toujours fait chez nous.

 


4. Vous êtes visiblement sensibles aux influences extérieures, quelles sont celles qui vous plaisent le plus et pourquoi ?


L’ouverture et la découverte ont toujours été pour les corses un art de vivre, il en va de même pour la musique. Dans le groupe, on écoute des musiques très variées : des Amériques du Sud, de l’Europe de l’Est, etc... Il en ressort évidemment un mélange assez métissé de toutes ces influences.


5. La Corse a une langue. Aujourd’hui, sa sauvegarde n’est pas garantie, loin s’en faut. Quel peut-être votre rôle, et au delà, celui des groupes culturels pour aider à sa survie ?


le rôle des groupes culturels dans la sauvegarde de la langue est limité mais non négligeable. Les groupes donnent un statut à une langue minorée à laquelle on refuse une officialité, Ils donnent aussi à l’entendre et favorisent ainsi l’existence d’un « bain linguistique » nécessaire. Les chansons permettent aussi de faire vivre la langue autant par l’invention que la maintenance de formes qui pourraient disparaître.

 


6. Cet anniversaire, vingt ans, c’est important pour vous ? Qu’est-ce que ça représente ?


Vingt ans, c’est le temps d’un bilan... La continuité dans le temps, des liens forts entre les membres du groupe. Presque un quart de siècle au service du peuple corse, avec la même ossature, les mêmes personnes. Constat que l’amitié demeure le ciment du groupe.

 


7. Quels sont vos projets immédiats et à plus long terme ?


De manière immédiate, nous suivons la diffusion de notre dernier disque « Credo»,. Le partenariat avec EMI music qui est un grand label de la production discographique a constitué pour le groupe un tournant en matière de reconnaissance et de diffusion. Le long terme ? Rendez vous dans vingt ans !...

 


8. Le bruit court que vous vous intéresseriez aux musiques à danser ?


La Corse a aussi une tradition de danses et de musiques, moins connue à ce jour que celle du chant. Depuis ces dernière années, un travail de réappropriation et de rediffusion du quadrille et de ces musiques a été réalisé principalement par l’association Tutti in Piazza à laquelle participe d’ailleurs activement un membre du groupe. L’alliance musique/ danses /chants et spectacles vivants fait en ce moment l’objet d’une réflexion au sein du groupe. La concrétisation dans un court terme de ce projet serait le départ d’une nouvelle dimension pour le groupe.

 

Contact : Associu Culturale Chjami Aghjalesi
tel : 04 95 34 03 80 et 04 95 30 75 89
Mail : chjamiaghjalesi@free.fr

 

Chjami Aghjalesi
© 2000 Pierre-Antoine Alfonsi